PUBLICATION : EXPÉDITION AUX BAINS DE MER A LA TRANCHE PAR LE PETIT TRAIN
1907
EXPÉDITION AUX BAINS DE MER
A LA TRANCHE PAR LE PETIT TRAIN
* LA MODE DES BAINS DE MER
Née en Angleterre au début du XIXème siècle, la passion des bains de mer va gagner la France.
Selon la Duchesse de Berry qui en découvrit les bienfaits au cours de son séjour en 1822, « Dieppe est à la France ce que Brighton est à l’Angleterre : un lieu de récréation et de plaisir où la haute société parisienne puisse jouir et se rencontrer à époque fixe. »
Les publications médicales qui se multipliaient sur les deux rives du «chanel », participèrent à cet engouement pour les villégiatures balnéaires .
On découvrait les vertus reconstituantes de l’air marin pour les convalescents anémiés et les enfants de santé fragile.
On constatait les bénéfices du climat maritime et des forëts de pins.
Les médecins prescrivirent des cures de thérapie douce associant repos et bains de mer riches en sel et en iode.
Ainsi, naquit sous cette tutelle médicale, une mode pour les séjours aux bains de mer très prisés par l’élite branchée de l’aristocratie et la haute bourgeoisie hexagonale.
Cette vogue attira les investisseurs.
Des stations balnéaires naquirent sur tout le littoral .
LE DEBUT DES BAINS DE MER EN VENDEE
Attirés par la douceur de son climat et ses plages de sable fin, les premiers baigneurs apparurent aux Sables d’Olonne en 1826.
Ces pionniers mettaient 6 jours en diligence pour effectuer le trajet de Paris aux Sables.
Ils louaient à leur arrivée des chambres meublées chez l’habitant.
Au début, leur présence ne fut pas toujours bien tolérée par les autochtones.Pour protéger l’ordre public, le maire des Sables dut interdire la baignade nue sur la grande plage .
Afin de sauvegarder les principes moraux, la maison Groleau construisit et installa sur la plage des cabines de bains roulantes tractées dans la mer par des chevaux.
Les retombées commerciales générées par l’hébergement et la manne financière issue des activités annexes (restaurants, régates et courses de chevaux) convertirent rapidement les opposants.
Au nombre de 8 en 1826, les villas en bordure de plage se multiplièrent comme des champignons, atteignant la centaine en 1854.Tous les artisans sablais étaient débordés.
L’ouverture par la Compagnie d’Etat de la ligne de chemin de fer Nantes – Les Sables en 1866, fut le facteur déterminant de l’avenir touristique de la Vendée.
La voie du succés était entrouverte.
Le premier « grand train » en direction des Sables fit un arrêt en gare de la Mothe-Achard.
Conscients des débouchés potentiels, les dirigeants de la Compagnie des Chemins de Fer de l’Etat décidèrent d’investir massivement.
Les touristes parisiens, tourangeaux et poitevins accoururent en Vendée.
En 1876, la Compagnie des chemins de fer fit construire, sur les plans de Gustave Eiffel, le premier casino à l’architecture métallique.
En 1900, la station Sablaise comptera 35 établissements hôteliers, disposant d’un millier de chambres.
Devant ce succès, la puissante compagnie, propriétaire des « Grands Trains », décida de créer une filiale : « les Tramways de la Vendée ». Son rôle fut de construire et d’exploiter un réseau secondaire d’intérêt local, destiné à assurer le transport des voyageurs et des marchandises dans les territoires les plus isolés.
Ainsi naquit la ligne à voie étroite Luçon – L’Aiguillon inaugurée le 14 août 1901.
La même année, furent créées les cartes d’excursions en Vendée. Cet abonnement donnait pour un prix forfaitaire, le droit de libre circulation, valable 15 jours par an, de Pâques au 31 octobre, sur toutes les lignes d’Etat (le réseau principal) et sur le réseau secondaire (les tramways de la Vendée) avec 30 kg de bagages en franchise.
Ce concept fut une énorme réussite relatée par tous les journaux de l’époque C’est ainsi que la vocation touristique s’étendit à l’ensemble de la côte vendéenne.
La construction des hôtels sur le front de mer des Sables se multiplia.
Cet afflux modifia l’image de la station Sablaise qui perdit son caractère élitique.
La première génération des aristocrates se sentit envahie par cette clientèle plébéienne.
Malgré le nouveau casino de la République et son hôtel « le plus moderne », les courses de chevaux sur la plage et les régates...
...ils migrèrent vers des stations plus huppées. Dieppe, Pornic, La Baule, Royan, Biarritz, Deauville les accueillirent .
Fini pour la clientèle populaire, le spectacle des « gens biens » circulant en habits de soirée sur le remblai, en l’attente des soirées au casino.
Les Sables s’inscrivirent alors dans le registre des stations balnéaires familiales.
Alors que les estivants accourent vers les plages Sablaises, que se passe-t-il en ce début de XXème siècle sur celles du Sud de la Vendée ?
Dés le XVIème siècle, Rabelais avait vanté le climat, l’ensoleillement et la luminosité du Sud Vendée.
La Tranche, abritée des courants marins par l’île de Ré, possédait de longues plages de sable fin pour répondre aux désirs des nouveaux adeptes des bains de mer.
Elle bénéficiait en outre, de dunes saturées de l’odeur des œillets sauvages, des immortelles et d’une magnifique forêt de jeunes pins maritimes, soigneusement entretenue.
En 1900 , la commune comptait 965 habitants,répartis entre le village et les hameaux de La Terrière, de La Grière et de La Faute.
Construite sur la rive maritime du Lay, elle dépendait du canton des Moutiers.
Riche de 165 habitants, la Faute faisait partie du territoire communal tranchais qui s’étendait sur une longueur de 21 kms, des Conches à l’extrémité de la pointe d’Arcay. La création de la commune de La Faute, en avril 1954, amputa sa façade maritime de 8 kms.
Faute de ressources, la commune ne pouvait pas financièrement entretenir une voirie aussi étendue. En dehors, des exportations de leur production maraichère par le port de l’Aiguillon, les Tranchais vivaient en autarcie.
Les communications étaient quasiment inexistantes.La Tranche était reliée à l’arrière-pays par 3 accès, tous aventureux :
-à l’Est, via Angles : une voie dans les marais, inondée plusieurs mois de l’année, cheminait au sommet de digues argileuses, glissantes ou impraticables, qui longeait les fossés et les canaux.
-au Nord, via Longeville : Un chemin dunaire dont l’empierrement était retardé par le refus des propriétaires de déplacer leurs limites parcellaires.
-au Sud, par l’Aiguillon : La voie maritime restera, jusqu’à 1911, date d’ouverture du premier pont de 2,40 m de large en béton, laseule voie d’accès régulière.
Pour les rares vacanciers, venus se dépayser hors du temps, au rythme des marées, l’accès au paradis relevait de l’expédition au bout du monde.
La gare la plus proche, celle de Luçon, restait éloignée de 30 kms et l'accès à la Tranche nécessitait,faute de route, la traversée du Lay en barque. Après le long trajet de Paris ou de Poitiers à Luçon, le plus dur restait à faire.
Une publicité pour les bains de mer Tranchais éditée en août 1866 nous permet d’évaluer les difficultés d’accessibilité . Pendant la saison des bains, Mr GALLOT cafetier propose 2 départs par semaine les jeudis et dimanches :
-départ de Luçon à 5 heures du matin,
-arrivée à La Tranche à 5 heures du soir .
Soit un trajet de 12 heures pour une trentaine de kilomètres.
L’Aiguillon, implanté sur la rive continentale du Lay, était le point de traversée sur l’autre rive : « le continent ».
Village côtier le plus peuplé et le plus actif, l’Aiguillon comptait en 1900, 1126 habitants et son trafic portuaire était le plus important de Vendée.
Port de commerce de l’évêché de Luçon et de l’abbaye de Saint Michel en L’Herm, depuis le Moyen-Age, il assurait : l’embarquement du blé, produit par la riche plaine de Luçon, le transport de bois et de charbon ainsi que celui de la production maraichère et de vin des agriculteurs tranchais.
Il était aussi un abri par gros temps pour les bateaux en attente de déchargement qui se présentaient à l’entrée du port de La Rochelle.
Malgré l’envasement progressif de la rivière, le trafic maritime grâce à l’activité du port de Luçon, connaissait une croissance constante. Son trafic s’était multiplié par 5 entre 1826 et 1869, année où plus de 600 bateaux avaient transité.
C’est à cette époque que les pêcheurs aiguillonnais obtinrent de l’administration maritime des concessions de bouchots à moules dans la baie et devant la pointe de La Faute et suivirent l’exemple de leurs voisins de Charron .
La mytiliculture exigeait de courts délais de commercialisation. Après l’arrivée de la grande ligne de chemin de fer, elle bénéficia de 4 améliorations obtenues de l’Etat par la municipalité de Luçon pour désenclaver sa façade côtière :
- une voie routière départementale à grande circulation n°46 Luçon – L’Aiguillon,
- la mise à niveau de la voie maritime par l’achèvement du bassin à flot et l’aménagement du port de Luçon.
- la prolongation de la voie ferroviaire nationale des grands trains pour desservir les hangars à grains du port,
- et surtout, la création d’une voie secondaire des Tramways de la Vendée du port de Luçon à celui de l’Aiguillon.
L’inauguration en août 1901, de cette ligne du Petit Train donna au littoral Tranchais, sa première opportunité d’ouverture au tourisme.
La clientèle se résuma dans les premiers temps à une fréquentation estival de la plage de La Faute par quelques familles aisées Luçonnaises et Fontenaisiennes, qui construisirent les premiers chalets dans les dunes.
Les aléas de la traversée de la rivière en barque, bien que pittoresque, représentaient encore un frein à l’expansion d’un tourisme de masse.
Celui-ci se limitait les dimanches d’été à des jeunes venus de Luçon ou de Saint Michel, qui venaient prendre une consommation à la guinguette de la plage pompeusement appelé "Le Casino" .
Ils regagnaient par le dernier train leur domicile après la baignade.
Malgré la décision prise en 1900 par l’assemblée départementale de construire un pont sur le Lay, le projet resta virtuel pendant plusieurs années.
La traversée à marée basse n’était possible que dans la vase et dépendait pour les dames, de la disponibilité sélective du passeur à les transporter dans ses bras.
Une passerelle transitoire en bois fut installée en 1905. Elle permit aux Tranchais de traverser la rivière à pied et d’accéder à la gare de L’Aiguillon- Port, créée en 1901.
Le pont en béton de 2,40 m de largeur attendra 1911 pour être ouvert à la circulation.
Le premier contingent de touristes tranchais, fut constitué de notables Luçonnais et Fontenaisiens.
lls étaient attirés par le dépaysement et la sensation de liberté que leur procurait le partage de la vie quotidienne des gens du village : pêche sur l’estran au rythme des marées, chasse , vendanges et parties de boules en bois le dimanche.
Pour passer leurs vacances dans ce paradis, ils étaient prêts à toutes les concessions : Se rendre à La Tranche se méritait. C’était un long périple qui supposait l’utilisation de 3 moyens de locomotion pour parcourir 30 kilomètres :
- le petit train de Luçon à L’Aiguillon
- le bateau pour la traversée du Lay,
- la carriole à cheval de La Faute à La Tranche à travers les dunes.
Nous vous proposons de vous joindre à une famille Luçonnaise se rendant aux bains de mer à La Tranche en 1907
En ce samedi matin de juillet 1907, jour de foire à Luçon, le Docteur Martin et sa famille préparent le grand départ. Convaincus par leurs amis liquoristes, les Vrignaud, fidèles adeptes de la baie du Maupas, les Martin ont décidé de prendre un mois de vacances à La Tranche.
Pour faire découvrir le chemin de fer à leurs enfants, ils ont choisi de prendre le petit train Luçon – L’Aiguillon dont la ligne est ouverte depuis maintenant 6 ans.
Les Vrignaud les attendent dans leur résidence estivale construite en front de mer depuis une quinzaine d’années.
Les malles et les bagages encombrants sont partis depuis 48 h.
Ils ont été livrés à l’adresse de leur future résidence estivale: L’hôtel Franc-Picard, en plein centre bourg.
Les enfants et leur nourrice, toute heureuse de les accompagner durant ce séjour, sont impatients de prendre le train pour la première fois.
Le jardinier qui gardera la maison durant les vacances, a attelé le cheval pour les accompagner à la gare.
Puis tout le monde s’est entassé dans la voiture à cheval. L’expédition est partie.
Pour retirer les billets il faut passer par le bureau de la grande gare.
Il règne dans la gare, l’odeur particulière de carton des billets, de papier carbone et d’encre des tampons
Suivant les horaires affichés, leur convoi doit partir à 14 h.
Les voyageurs qui arrivent de Nantes par le réseau des grandes lignes, débarquent sur le quai, d’autres gagnent la navette qui prolonge la ligne jusqu’au port.
On décharge des marchandises. Certaines seront transférées sur le petit train.
Munis de leurs billets pour l’Aiguillon, acquis pour la modique somme de 1 franc 75 centimes par passager, toute la famille regagne le fiacre, direction le port.
La place du marché est animée en cette fin de matinée.
Dans ce brouhaha, se mêlent caquètements des poules et cancanages de canards....
Les paysannes venues de la campagne écouler leur production d’œufs et de volailles, interpellent les derniers acheteurs en remballant les invendus, avant le voyage du retour.
Les hommes sont déjà passablement excités par les multiples « canons » ingérés pour conclure chaque transaction sur la vente de leurs porcs ou leurs bovins.
Ils s’interpellent et s’invitent à boire un dernier verre dans les nombreux cafés qui bordent la place.
Dernier regard à la statue de Richelieu, et on s’engage dans la rue du port jusqu’au bassin à flot.
La famille est en avance sur l’horaire. En l’attente de la fin du marché, les quais sont encore calmes.
Deux gabares sont amarrées le long des quais.
Des matelots sont occupés à décharger sel et charbon qui arrivent par voie maritime vers les entrepôts.
- Sur les berges du port, converge une double voie ferrée. Devant les bureaux du port des plaques tournantes permettent l’accès au quai nord, zone de transit des wagons détachés du convoi arrivant de Nantes.
Sur le quai d’embarquement du petit train, les paysans rechargent dans le wagon à bestiaux des cages en bois :
-celles vides, des volailles qui ont été vendues,
et les plus grandes, nommées « bazaines à gorets » occupées à l’aller par des porcs adultes conduits à l’abattoir.
Elles abritent au retour 3 à 4 jeunes porcelets à engraisser, qui affolés, hurlent leur détresse.
Les cheminots ont accroché un wagon supplémentaire, portant la rame à 6 wagons.
Constitué habituellement de 3 à 5 wagons, le convoi a dû être rallongé. Il faut en effet faire face à l’afflux des arrivants du grand train et des jeunes voyageurs qui se rendent à La Faute pour se baigner et rentrer en fin de journée.
La foule envahit les quais.
Les femmes, riches du produit de leurs ventes, ont acheté les produits de première nécessité qu’on ne trouve pas au village : ustensiles de cuisine, laine ou rouleaux de tissus.
Ployant sur le poids de leurs acquisitions, elles ont posé à terre cabas et paniers.
Epuisées, elles attendent l’autorisation du chef de train, pour monter s’asseoir à bord.
Cette ambiance de fête est une bonne mise en condition pour les vacances de la famille Martin.
Le tintamarre est à la fois assourdissant et magique. Il mêle :
- le sifflet de la machine en chauffe et les jets à vapeur qu’elle crache au voisinage des bielles avant le démarrage,
- le crissement du freinage à l’arrivée des wagons supplémentaires,
- le choc des tampons des wagons en cours d’accrochage,
- les interpellations des cheminots qui dirigent la manœuvre.
Chaque membre de la famille Martin a pris en charge ses objets personnels rangés dans des sacs légers.
Au feu vert du chef de train, la foule s’agite, tout le monde veut grimper dans les wagons pour avoir une place assise.
Le confort est très limité. Bien que le poêle à charbon situé au centre du wagon de voyageur, alimenté en hiver par une pelletée de braises prélevée dans le foyer de la locomotive, ait été démonté, les places manquent.
Faute de pouvoir circuler entre les voyageurs entassés assis ou debout, le chef de train a renoncé à contrôler les resquilleurs.
L’atmosphère de ces wagons surchargés de voyageurs est particulière. Malgré l’ouverture des vitres en raison de la température, il y règne une odeur différente de celle de la gare. Elle est faite du mélange de transpiration humaine, de fumée de locomotive et enfin de celle de bestiaux chargés dans le wagon accroché en queue de convoi.
Le plus jeune des enfants Martin émerveillé, s’est installé sur la plate-forme arrière.
Il ne veut pas manquer la moindre manœuvre ni du mécanicien muni de sa burette, ni du chauffeur dont les vêtements sont imprégnés de poussière de charbon et d’huile chaude.
Après un concert de coups de sifflet et de corne pour activer les retardataires, le frottement des roues sur les rails d’acier et le panache de fumée de la locomotive signent le départ.
La silhouette trapue du petit train s’ébranle.
Le trajet de 22 kms Luçon – L’Aiguillon doit sauf surprise durer 1h30, desservant les gares de Triaize et Saint- Michel en l’Herm.
La voie étroite et unique, chemine sur la gauche de la route.
Première étape : Triaize . Avec arrêts à la demande devant les fermes longeant la route :
- la Marguerite
- les Fontenelles
- la Maison Neuve
A l’arrière, la flèche de la cathédrale s’estompe lentement dans le paysage.
Des paysans tentent d’équilibrer au mieux leur chargement pour éviter de le renverser en cours de voyage.Puis, les charrettes prennent la route départementale. Les bœufs hautains et stoïques se laissent dépasser par notre bruyant équipage.
Brutalement, le convoi ralentit avant l’arrêt des Fontenelles. Un vacarme met fin à la quiétude qui s’était installée parmi les voyageurs après ce départ tumultueux : bruit strident des freins, puissants jets de vapeur lâchés de la locomotive et coups de sifflet. Les habitués ne semblent pas s’inquiéter.
Des vaches ont profité de l’assèchement des fossés pour sortir de leur pré et paissent entre les rails.
Les intruses sont repoussées hors de la voie mais ce ralentissement a fait baisser la pression de la machine.
Fulminant contre les perturbations qui font chuter la moyenne, le mécanicien recharge le foyer et la chaudière progressivement reprend son rythme.
Le convoi progresse vers l’ouest.
Dans une petite exploitation voisine de la voie, une faucheuse javeleuse coupe les tiges de blé.
D’un mouvement circulaire régulier, actionnée par une commande à pédale, le conducteur laisse tomber une brassée tous les dix mètres.
Dans la ferme suivante on charge le pailler . Moisson et battage demanderont 3 semaines de travail pour 3 hommes.
Le clocher de Triaize apparait à l'horizon.
Des enfants attendent sur le bord de la voie le retour de leurs parents. Ils espèrent que ceux-ci n’ont pas oublié d’acheter les rituelles friandises qu’on ne trouve qu’au marché.
A l’entrée du village, dans un pré, voisin de la route, hommes et femmesparticipent à un curieux ballet :ils écrasent des excréments de vache et les mélangent à de la paille humidifiée en dansant pieds nus dans ce magma malodorant.
Puis ils remplissent un moule arrondi muni d’un manche pour façonner des galettes de 30 centimètres de diamètre qu’ils laissent sécher au soleil.
Dans ce pays dépourvu de bois, ces excréments de vache appelés « bouses », serviront après séchage au soleil, au chauffage durant l’hiver.
Le petit train entre en gare de Triaize pour un arrêt programmé. Le bâtiment est un local modeste de 6 m sur 3 m, comprenant une salle d’attente munie d’un banc de bois, reliée par une porte à la salle de délivrance des billets.
Plusieurs femmes descendent, libérant des places pour les jeunes luçonnais restés debout depuis le départ.
Les paysans qui reviennent du marché déchargent le wagon de queue de leurs cages à poules et de leurs « bazaines ».
Le transbordement réveille les porcelets endormis. Ils se remettent à hurler lorsqu’on les transporte sur une charrette pour gagner leur nouveau lieu de résidence : une ferme isolée dans le marais appelée « cabane ».
Voici déjà plus d’une demi-heure que le convoi est parti de Luçon.
La durée théorique du trajet Luçon – Saint Michel était de 37 minutes mais l’exactitude et le souci des horaires ne sont pas primordiaux.
Le « tortillard », comme l’appellent péjorativement les touristes de la ville, prend le rythme de la campagne.
Malgré le retard, cheminot, mécanicien, chauffeur et chef de train déshydratés par le déchargement, s’accordent quelques minutes pour répondre à l’invitation d’un voyageur Triolais à prendre « un godet » au café de la gare.
Habituée au cérémonial de réciprocité, la serveuse a déjà préparé sur le zinc, une double rangée de verres pleins pour être sûre de répondre à la demande de « remise de tournée » dans les meilleurs délais.
Après cette pause, le petit train, dans un bourdonnement de ferraille, reprend son chemin à travers le marais.
Quatre arrêts sont prévus sur le trajet entre les gares de Triaize et Saint- Michel en l’Herm pour desservir les fermes suivantes :
– Le Vigneau
– Le Bourdeau
- La Dune
– Les Chauds
La silhouette trapue du convoi tortueux règle, comme le carillon du clocher, les horaires des paysans.
La vie agricole suit son cours, rythmée le long de la voie par le passage de 6 convois quotidiens.
Dans la cour de la ferme La Dune, la batteuse est en action.
Elle est alimentée par des briquettes de charbon et consomme beaucoup d’eau. Compte-tenu du prix horaire de location, ce prototype des temps modernes, mobilise 2 équipes de batteurs qui se relayent, pour que le chantier soit terminé à la tombée de la nuit, et que la machine soit opérationnelle dès l’aube dans une autre ferme.
Elle avale des gerbes et crache le grain immédiatement mis en sacs et chargé par les porteurs.
Le monte-paille déverse en continu, la paille sur le faitage du pailler où les hommes la répartissent.
La seconde équipe fait une pause pour déjeuner avant de prendre la relève.
Cahin- caha, le convoi arrive au lieu-dit « Les Chauds ».
La ligne d’horizon du marais est brutalement rompue par trois collines qui semblent anachroniques dans ce paysage uniformément plat.
Il s’agit des buttes huitrières de St Michel en l’Herm. D’une dizaine de mètres de hauteur, elles sont disposées en S sur un longueur de 800 mètres.
Connues et décrites au XVIe siècle par les premiers naturalistes, leur volume est estimé à 400 .000m3. A raison de 10.000 huitres par mètre cube, elles représentent un nombre de 3 à 5 milliards d’huitres.
Elles ont été minutieusement etudiées par l’ingénieur géographe de Louis XIV, Claude MASSE en 1715 au cours de son relevé des côtes du Bas- Poitou.
L’énigme, posée sur leur origine, fera polémique parmi les scientifiques pendant quatre siècles et suscitera d’incroyables controverses.
-S’agit-il d’un dépôt naturel résultant de courants marins sur un territoire immergé jusqu’à la fin du XIIIe siècle ?
-S’agit-il de vestiges d’une jetée de port, d’une digue ou d’un barrage ?
En ce début de XXe siècle, elles sont exploitées par des petites carrières, pour l’empierrement de chemins et la production de chaux.
Nous atteignons le deuxième « bourg-étape » de notre périple : St Michel en l’Herm.
A l’entrée du bourg, la voie quitte la route au niveau du calvaire pour se diriger vers la gare.
Deux édifices dépassent le faitage des maisons du village:
- à l’est le clocher de l’église :
- à l’ouest la cheminée de la« beurrerie »
Sous le hangar de la laiterie, les équipes de ramassage livrent la collecte de la matinée.
Le petit train entre en gare.
Un panneau en lettres rouges sur fond blanc est fixé au-dessus du bureau.
La salle d’attente, fermée de trois cotés est ouverte sur la voie et communique, comme à Triaize, avec le guichet.
Elle est munie, dans le fond, d’une unique banquette en bois.
Une bascule occupe le centre de la pièce.
A une vingtaine de mètres, voisine de la maison du chef de gare, se trouve la halle à colis.
Un quai est élevé dans la direction de Luçon pour donner accès au convoyage des bestiaux. L’équipement de la gare est rudimentaire, constitué des aiguillages et de 3 voies : une pour la circulation du train, deux autres pour le stationnement des wagons .
Deux sont chargés :
- un de paille dans un tombereau découvert.
l’autre d’un mélange de cendres de bois et de bouses, expédié aux maraîchers nantais comme engrais.
Le long du quai, un roulier de la laiterie de Saint-Michel transporte d’étranges colis, de forme conique, entourés d’un lattis de bois d’où émerge dans leur partie supérieure, une touffe de paille utilisée pour la manutention.
Il s’agit de bourriches de beurre de 10 kg conditionnées et expédiées annuellement par la laiterie par centaines de tonnes.
Suivant une procédure codifiée, le roulier a le monopole du chargement et la responsabilité, tel un banquier, de cadenasser le wagon qui doit rester fermé tout le long du voyage pour éviter les vols.
Dernier débarquement de «bazaines » : les cris de détresse des porcelets couvrent le bruit du moteur.
A la demande d’un voyageur, un nouvel arrêt est prévu au lieu-dit« le Beau Manteau », station située à la sortie du village.
Le mécanicien profite de la « prise d’eau », pour refaire le remplissage de la chaudière.
Après le traditionnel « godet vite fait » le petit train redémarre.
Est-ce la récente mise en eau de la chaudière, le dernier verre du chauffeur ou la pente descendante de la voie ..
... le petit train semble doté d’une énergie nouvelle.
Le retard n’est que de 20 min sur l’horaire…
Tout va bien, d’autant plus, que dans ce sens, la pente est favorable et le trajet jusqu’à L’Aiguillon rectiligne contrairement à celui de la route.
Tel un cheval à l’approche de l’écurie, le rythme s’est accéléré.
Le paysage défile au moins à 15 kms à l’heure jusqu’au virage de la « Grande Cote ».
A l’approche du village, dans la dernière ferme, suivant la tradition séculaire on bat les fèves.
Le convoi se rapproche de l’Aiguillon doté de deux gares :
-L’Aiguillon –ville
-L’Aiguillon –Port
On atteint les premières maisons du village .
Les enfants Martin qui commençaient à somnoler sont réveilles par l’odeur du port et le vent marin .
On aperçoit l’église, puis on longe le pré communal jusqu'à la station L’Aiguillon-ville.
C’est la plus grande gare du trajet, elle est surmontée d’un étage et munie d’un quai. Les autochtones, qui reviennent de la foire, descendent.Le rituel «arrêt rafraichissement» du conducteur pendant la descente des voyageurs permet de découvrir la gare :
Sur la voie de triage, un convoi de bois pour les boulangers est en attente de déchargement.
Le convoi redémarre lentement suivant les rues du village vers le port.
Nous atteignons la deuxième gare : L’Aiguillon- Port, terminus de la ligne sur la rive continentale du Lay.
Tout le monde descend.
Des gabares chargent oignons, ails et tonneaux de vin sur des goélettes amarrées dans le lit de la rivière. Elles repartiront à mer haute vers l’île de Ré ou Oléron.
Des vapeurs de la compagnie rhétaise déchargent du charbon sur l’entrepôt du port.
L’odeur du port, mélange subtil de vase et de goémon, emplit les narines.
Elégantes, chapotées et en robes longues, les femmes de la ville font sensation en circulant sur la cale.
Coiffés de leur canotiers,les hommes se rapprochent pour assister au débarquement de la pèche .
Sur la voie de triage du petit train, le convoi de retour se prépare. Le départ est prévu dans une heure. Contrairement à l’aller, la rame est limitée à un wagon de voyageurs et 2 wagons de marchandises :
-Un de moules, qui sera embarqué vers Poitiers et Bordeaux, en gare de Luçon.
-Un autre, chargé de blé, d’avoine et de fèves, stockées dans les greniers des courtiers.
Dernier obstacle avant l’accès au paradis : la traversée de la rivière.
Pour être du premier convoyage, les habitués se sont précipités sur les barques des passeurs stationnés le long des estacades.
Le fiacre du père Jarny prend en charge la famille Martin pour la dernière étape du voyage. Il vient de déposer un chargement de colis à la gare et doit embarquer sur le bac pour regagner la rive tranchaise.
Pour éviter de s’embourber, la traversée du véhicule, « la patache », est fixée dans 2 heures, au moment de la haute mer.
Les enfants ont hâte de jouer dans le sable.
La famille décide de se rendre à pied à la plage de la Faute et de faire une pause à la guinguette. Chacun se désaltérera, et les enfants gouteront pendant que leur véhicule traversera la rivière. Enfin tous embarquent. Des jeunes venus se baigner se joignent à eux.
Après un débarquement périlleux, nos aventuriers prennent le « chemin de la plage ».
Ils longent les chalets que des pionniers fontenaisiens et luçonnais ont récemment construits derrière la dune .
Le dernier obstacle franchi . C’est le premier contact avec l’océan. Le temps est splendide, la mer calme. On fait une timide incursion dans l’eau pour évaluer la température.
Puis les parents Martin s’installent à la buvette du casino.
Les enfants filent vers les jeux.
Les jeunes luçonnais qui les accompagnaient dans le petit train, ont mis leur maillot de bain et courent vers l’eau.
Leur « chauffeur », le père JARNY rejoint ses passagers à la plage. Tout le monde se rassemble autour du vieux fiacre brinquebalant attelé à un cheval. La mère, les enfants et la nourrice embarquent dans la cabine fermée.Leur père, faute de place dans l’habitacle, s’installe sur le siège avant, à côté du conducteur.
Les sabots du cheval rythment cette dernière étape.
En raison du fort coefficient, la mer haute attaque le pied de la dune.
Le marais n’est plus séparé de l’océan que par une centaine de mètres. En cas de tempête on risque de voir la mer inonder les prés.
Un quart d’heure plus tard, c’est la traversée des vignes des Jards.
Il faut une demi-heure pour atteindre la Belle-Henriette.
Dans les prés, les femmes, assises sur des tabourets à trois pieds, font la traite du soir.
Leur travail terminé, elles transportent les sceaux pleins sur leurs épaules à l’aide d’un" jouc".
La charrette, garée sur le bord de la route, est prête pour le retour à la maison.
La collecte de la coopérative laitière se fera demain matin à l’aube.
La patache arrive au calvaire livrant une vue panoramique sur l’anse du Maupas.
Enfin après plus de sept heures de trajet, le clocher de l’église de la Tranche apparait enfin à l'horizon.
On suit au pas la rue principale.
La carriole se gare enfin dans la cour de l’hôtel Franc-Picard, terme de l’expédition.
Monsieur Chauveau, le propriétaire et le personnel attendaient l’arrivée des voyageurs.
Le chef de famille se fait confirmer l’arrivée des bagages. Chacun s’attribue une chambre.
Après avoir abandonné les vêtements de ville pour une tenue estivale, la famille Martin se dirige vers le domicile de leurs amis qui les ont invités à diner ce soir.
A la sortie de l’hôtel, on longe l’église et le cimetière jusqu'à la pointe du Chiquet.
La villa des Vrignaud , construite face à la mer sur la dune est en vue .
Épuisés par la partie de pêche du matin, les hommes de la famille se reposent allongés sur le sable.
Après une visite à leurs voisins du Maupas, les Phélippon , les femmes rentrent tranquillement par la plage.
Bronzés, cheveux décolorés par le soleil, leurs enfants sont pleins d’énergie et jouent dans l’eau.
Malgré l’heure tardive ils proposent aux jeunes arrivants un premier bain tranchais avant le diner.
Les tenues de bain enfilées, tout le monde se retrouve à l’eau.
Après ce premier contact avec les bains de mer, on rentre se changer avant de diner.
Sont prévus au menu :
-Des crevettes : ce matin, les enfants sont allés pêcher des « boucots » avec leurs « treillots » devant la maison.
- les étrilles ramassées par les hommes sur le rocher de l’Aunis
- des tranches du « touil » (requin peau bleue) capturé à la ligne par leur oncle maternel, cuites sur un feu de sarments.
Pour terminer cette soirée du 13 juillet, le programme élaboré par leur hôte prévoit d’assister sur la place au concert de la Lyre Tranchaise.
Les vacances commencent bieN;
Pêche, jeux de plage, bains et balades en forêt dureront un mois, et rythmeront le quotidien de ces vacances aux bains de mer.
Au grand regret de ces pionniers, peu enclins à partager leur paradis, le désenclavement communal va s’accélérer et ouvrir le village au tourisme de masse.
Apparaitront successivement :
- Le franchissement du Lay en 1911 par un pont en béton à voie unique, d’une largeur de 2 mètres 40, cordon ombilical avec l’arrière-pays.
- L’empierrement du chemin dunaire de Longeville à la Tranche par les Conches et la Saligottière et la création d’une route en 1924.
- La voie tramway Luçon-Talmont via Longeville le 8 juin 1930
- La voie routière d’Angles à la Tranche à travers le marais.
L’isolement des tranchais disparait mais la réussite du petit train dérange.
En 1931, les transporteurs routiers, appuyés par les compagnies pétrolières, sollicitent dans un premier temps dans leur « Bulletin des Transports » que tout véhicule automobile soit prioritaire sur les tramway aux passages à niveaux.
La même année, le président de la puissante Fédération Nationale des Transporteurs demande au département de la Vendée de supprimer son réseau vicinal, solution, selon lui, de « bon sens » ,et de laisser l’ensemble du trafic voyageurs et marchandises à la route.
Malgré ces pressions, la ligne du petit train Luçon- l’Aiguillon restera florissante et son budget équilibré jusqu’à sa fermeture.
Ce petit train disparaitra le 31 novembre 1949 et sera remplacé par les Autobus Vendéens.
EPILOGUE
Ceux qui ont fréquentée cette ligne jusqu’à sa fermeture , ont été témoins de la modification du paysage à Saint Michel en l’Herm : les buttes huitrières ont disparu et l’horizon du marais est redevenu plat.
L’exploitation industrielle de cette montagne de coquilles pour produire de l’engrais et des aliments pour les volailles a duré de 1924 à 1975.Elle va résoudre l’énigme de l’origine des coquilles en les faisant disparaitre.
La découverte dans les cribleuses de nombreux objets (40 pièces de monnaies de XIe, XIIème XIII siècles, de 4 couteaux et de pierres de drague permettent d’affirmer son origine artificielle.Puis la datation au carbone radioactif 14, situera la fin de vie de ces coquilles vers 1050 après J-C.
Ces milliards d’huitres auraient donc été ouvertes à la main, par écaillage sur le lieu de production pendant 3 à 4 siècles par les moines de l’Abbaye de St Michel, pour fabriquer dans de la saumure et du vinaigre un condiment alimentaire appelé « garum ».
La localisation du gisement et sa topographie en S, suit les méandres d’un ancien bras du canal dénommé « le chenal vieux » où devaient se faire le débarquement des huitres récoltées dans la baie de l’Aiguillon.
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